La lutte pour le respect des droits des enfants ne se fait certes pas en un mois, mais le mois de juin consacré à l’enfance à Madagascar ainsi que le 16 juin, journée africaine de l’enfance permettent de faire le bilan et attirer l’attention des dirigeants et de la société civile sur la vulnérabilité des enfants
Dans la région DIANA et à Antsiranana, « les choses bougent peu à peu» grâce aux actions des ONG, des associations et du réseau pour la protection de l’enfance. Pour la journée africaine de l’enfance, le thème choisi par le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant ou CAEDBE était « lutter contre les pratiques traditionnelles néfastes aux enfants : notre responsabilité collective ».
Ces pratiques sont si nombreuses à Madagascar que l’on ne peut les énumérer. De plus, alors que le pays sombre de plus en plus dans la crise, la situation des enfants, de leurs droits et de leur protection est de plus en plus inquiétante : recrudescence des cas de maltraitance et de leur exploitation économique, le recul au niveau de l’éducation : abandon et marginalisation des enfants handicapés entre autres. Une campagne de sensibilisation de douze mois est lancée au niveau du gouvernement malagasy par le Ministère de la Population et des Affaires Sociales avec l’UNICEF pour mettre fin à la maltraitance et aux violences infligées aux enfants. Plus de 1 000 cas de maltraitance ont été rapportés par les réseaux de protection de l’enfance dans 27 districts de Madagascar de janvier à août 2012. La région DIANA figure parmi les régions à qui la priorité est donnée pour la campagne. Ce sont les réseaux qui assureront les campagnes de sensibilisations basées sur la vulgarisation du numéro vert 147 pour la dénonciation de cas de maltraitance ou de violence. Elles visent aussi à développer chez tout un chacun le réflexe de dénonciation de tels actes.
Le représentant de l’UNICEF, Steven Lauwerier a déclaré « un des plus gros défis de la protection des enfants est la sensibilisation des communautés et des familles afin qu’elles prennent conscience de la gravité de la problématique. L’objectif est de rompre avec le silence et d’encourager la culture du signalement systématique des cas d’enfants victimes pour une prise en charge effective ».
Pratiques culturelles néfastes aux enfants
Fihavanana, raharaham-pihavanana…. Combien de crimes, de violences commises à l’encontre des enfants ont été étouffées par des « raharaham-pihavanana » qui est le règlement des conflits entre familles, une sorte d’arrangement à l’amiable. Un verre cassé, de l’argent volé, une fille violée, un enfant tué… Il n’y a pas de distinction à faire entre fautes, erreurs, accidents, délits et crimes ; au nom du fihavanana tout se règle entre les familles de l’auteur et de la victime. Cela parce que l’on vit dans le même quartier ou parce que l’on est lié (par le sang ou par alliance) « il est préférable d’arranger cela entre nous, nous trouverons une solution ensemble… pas besoin du tribunal pour cela… porter cette affaire au tribunal nuira à nos années de paisible relation, sans parler des va-et-vient que vous aurez à subir », telles sont les raisons évoquées afin de culpabiliser la victime et sa famille et les empêcher d’ester en justice. Malheureusement, nombreux sont ceux qui cautionnent encore ce type d’arrangement qui laisse l’auteur impuni et libre de recommencer. Il y a maintenant un an que la Justice malgache a fait des actions auprès des responsables de fokontany afin de ne plus valider ces raharaham-pihavanana en matière de violences infligées aux enfants, coups, viols, etc. Cette mesure n’abolit pas pour autant la pratique. Encore plus grave, de nombreux actes commis à l’encontre des enfants ne sont pas rapportés, les chefs de fokontany n’étant plus mis au courant. Cette tradition concerne toutes les régions de la Grande île. Dans le sud, les « tsenan’ampela » ou marchés aux femmes font fuir les jeunes filles vers d’autres villes. Les parents construisent ou louent des cases pour leurs filles (dès leur 13 ans) qu’ils livrent à la prostitution aux acheteurs et propriétaires de zébus. Les études constituent une issue pour les jeunes filles qui leur permet d’échapper à cette tradition dégradante et dangereuse. Elles sont nombreuses à aller jusqu’à Toliara pour étudier et parvenir à s’éloigner de ces humiliants marchés. A Mananjary, région Vatovavy Fitovinany, les jumeaux sont rejetés et abandonnés à la naissance parce que dans la tradition antambahoaka (groupe culturel du sud est de l’île), mettre au monde des jumeaux est un mauvais présage, ils sont maudits. Les choses changent actuellement, petit à petit certes, mais tant que ce changement permet de sauver des vies, il est déjà significatif. Une association de vingt-quatre mères de jumeaux est fondée dans la ville de Mananjary, où ces femmes ont décidé de garder leurs bébés et de les élever. Le nom de leur association résume parfaitement l’intérêt de ses membres : elles ont en effet appelé leur association « Tsy manary zaza » ou enfants non rejetés.
A Antsiranana, la mentalité qui n’encourage pas les parents à prendre leurs responsabilités, d’après le directeur de la Population et des Affaires sociales, Paul Bosco Armand serait l’adage « niteraka vatana fa tsy fanahy » ou les parents ont engendré un corps pas une âme. « L’éducation qui déterminera l’avenir de l’enfant dépend des parents et des établissements scolaires » a-t-il soutenu. Les parents soutiennent qu’ils ne sont pas responsables de l’état d’esprit et de l’âme de leurs enfants. Pourtant nombreux sont ceux qui défendent les mineurs arrêtés sur des lieux d’affrontements entre bandes en soutenant que les forces de l’ordre ont effectué des arrestations arbitraires.
Etat des lieux à Madagascar
Les faits sont alarmants, les prostituées sont de plus en plus jeunes, la section protection de l’enfant de l’UNICEF a fait savoir que des filles de huit ans sont livrées à la prostitution à Mahajanga. A Nosy Be, les plus jeunes ont onze ans. Dans certaines régions, 40% des filles de quinze ans sont enfermées dans la prostitution. En ce qui concerne les maltraitances, la moitié des plus de 1 000 victimes rapportées ont entre 15 et 17 ans et les jeunes filles sont les plus touchées, soit à 77%. Elles ont été victimes d’abus sexuel, de négligence, d’abandon, de mariage forcé et de grossesse précoce. La violence intrafamiliale, le tourisme sexuel et l’exploitation économique des enfants prennent de plus en plus d’ampleur.
Les enfants handicapés sont très vulnérables. Au sein de la plupart des familles malgaches, les personnes handicapées sont cachées, privées ainsi de leurs droits. D’après les enquêtes effectuées par l’UNICEF en 2011, 93% des enfants handicapés dans le monde souffrent de l’humiliation et de la stigmatisation de la part d’autres enfants. A Madagascar, 18% des enfants non scolarisés sont handicapés. Le Directeur général de l’UNICEF, Anthony Lake a souligné « Lorsqu’on considère le handicap avant de considérer l’enfant, cela non seulement nuit à l’enfant en question mais prive également la société de ce que l’enfant a à offrir… Quand les enfants sont perdants, la société est perdante aussi ; quand ils y gagnent, elle y gagne aussi ». Des efforts pour l’insertion des enfants handicapés dans les milieux scolaires sont faits à Antsiranana que ce soit par quelques écoles que par les actions d’ONG telles que Maison de Sagesse. Les parents sont soutenus car des classes adaptées ont été ouvertes par l’ONG dans deux Ecoles Primaires Publiques de la ville. Or contre toute attente, malgré les appels lancés et les annonces, cinq enfants aveugles et malvoyants seulement font partie de la classe adaptée de l’EPP de l’avenue Pasteur. A l’EPP SCAMA, trois institutrices assurent l’éducation de trente élèves en situation d’handicap. Les parents sont convaincus que leurs enfants handicapés ne parviendront jamais à réaliser ce que les enfants valides sont capables d’accomplir. Une mère d’enfant avec un handicap physique soutient qu’il est pour elle fatiguant de devoir s’encombrer de son fils tous les jours pour l’emmener à l’école. Elle attend donc que des formations soient fournies à domicile.
Les actions du réseau de protection de l’enfance et des ONG dans la région DIANA
Pour attirer l’attention des Antsiranais sur la situation des enfants et de leurs droits, un réseau pour la protection de l’enfant dans la région DIANA a été créé. Il s’agit d’un système organisé de collaboration et de coordination regroupant de nombreuses entités telles que les hôpitaux, des assistantes sociales, des parents, des ONGs, la Police, la Justice… qui organise des activités dans la Capitale du Nord. Le 18 juin, le directeur régional de la Population et des Affaires Sociales ainsi que l’assistante sociale rattachée à ce service, le Chef de service de la Police des Mœurs et des Mineurs et la représentante de la Police Judiciaire, la juge des enfants auprès du tribunal de première instance d’Antsiranana, la chef de la Circonscription Scolaire d’Antsiranana I ont rencontré les près de 800 parents d’élèves du Collège d’Enseignement Général PK3. Le CEG PK3 qui ces derniers mois a été rendu tristement célèbre par les affrontements entre bandes de jeunes délinquants de la ville dans ses alentours. La rencontre a duré deux heures, l’objectif était de permettre à chacun de s’exprimer sur la délinquance juvénile dont celle commise en bande. Les droits des enfants ont été par ailleurs rappelés aux parents et éducateurs ainsi que leurs responsabilités devant la loi face aux infractions commises par leurs enfants. Le débat s’est poursuivi dans l’après-midi du 22 juin à l’Alliance française d’Antsiranana, un échange qui entre aussi dans le cadre de la célébration du quarantième anniversaire de l’école privée ABC. Un enfant enfermé et privé de nourriture, un autre blessé avec des pics à brochette, tels sont les exemples d’atrocités infligées cités par le directeur régional de la Population et des Affaires Sociales sans parler des cas d’inceste, de viol et de prostitution infantile… rapportés au réseau de protection de l’enfant et touchant la région DIANA.
Lors de ce débat à l’Alliance française, l’ONG Cœur et Conscience, par son président fondateur, Amédée Louis Fernand a dénoncé les violences à l’école en rapportant que 217 élèves de dix sept établissements scolaires d’Antsiranana ont été signalés comme victimes de violences (physiques et psychologiques) à répétition à l’école. Trois quart des élèves subissent ces pratiques culturelles et courantes qui les traumatisent à vie. Amédée Louis Fernand a souligné que les études ont démontré l’inefficacité de ce système éducatif basé sur la violence. Les actions de l’ONG en matière de lutte contre la violence sont donc orientées vers la sensibilisation des parents et des enseignants pour que cessent ces violences intrafamiliales et/ou à l’école.
« Il y a des enfants victimes, mais il y a aussi des enfants auteurs de violences »
Un enfant qui viole un enfant, un enfant qui agresse un autre ou même agresse des adultes tels sont principalement les actes commis par les mineurs juridiquement appelés « en situation de conflit avec la loi », c’est-à-dire des enfants auteurs d’infractions. Le phénomène « foroches » est l’exemple typique à Antsiranana où les méfaits des jeunes délinquants vont maintenant au-delà des affrontements entre bandes car les jeunes vont jusqu’à violer, voler et agresser, voire même tenter de tuer. Ces mineurs, une fois jugés coupables sont soit incarcérés au quartier des mineurs de la prison d’Antsiranana soit remis au centre de rééducation de Joffreville selon la gravité des actes qu’ils ont commis.
La MOFA de Cœur & Conscience
L’ONG Cœur et Conscience a été sollicitée par le ministère de la Population et des Affaires Sociales en 2009 pour le renforcement de leur intervention pour la protection de l’enfant. Une maison d’accueil temporaire (MOFA) a été ouverte et a accueilli trois enfants maltraités. Avec le soutien de l’UNICEF, un réseau de familles d’accueil est mis en place et la MOFA est maintenant tout à fait opérationnelle. Son inauguration s’est déroulée dans l’après-midi du vendredi 21 juin au PK7 (route d’Ambilobe).
Pour répondre au mieux aux besoins des enfants, une équipe de spécialistes encadre les deux mamans qui s’occupent des enfants. Leur santé, physique comme psychologique ainsi que leur nutrition sont suivis de près. C’est à l’issue d’une enquête sociale qu’il sera décidé si les enfants seront réintégrés dans leurs familles d’origine ou dans une famille d’accueil. La MOFA peut accueillir 40 enfants.
■V.M
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