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Catégorie : Les petits déjeuners de la Tribune de Diego
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Pour le premier «Petit déjeuner de La Tribune De Diego», nous avons profité de la présence en ville du Ministre du Commerce et de représentants de Mayotte pour organiser une rencontre sur le thème :

«Synergies potentielles et perspectives de développement dans les relations entre Mayotte et la Région Nord de Madagascar»

«Synergies potentielles et perspectives de développement dans les relations entre Mayotte et la Région Nord de Madagascar»

La Tribune de Diego : Merci à vous, messieurs, de bien avoir voulu nous consacrer un peu de votre temps qui est précieux afin de participer à cette rencontre. Le thème de cette discussion nous a été suggéré par certaines des remarques de Mr Cavanate, qui disait que Mayotte, qui n’est distante que de 300 km de Diego Suarez, dont la population à un pouvoir d’achat assez important, ne dispose que de très peu de produits frais tels que viande, fruits et légumes, alors que la région Nord de Madagascar est productrice de ces denrées qui pourraient être exportées à un prix très avantageux pour les deux parties. Il semble qu’ici dans le Nord de Madagascar on pense souvent à des partenariats avec les îles sœur de l’Est, La Réunion et Maurice, et qu’on néglige trop souvent la petite sœur de l’ouest, Mayotte, qui offre pourtant un ensemble de perspectives tout à fait intéressantes qui méritent qu’on s’y attarde…

Le développement des relations entre Mayotte et la Région Nord de MadagascarLaurent CAVANATE : Oui, on peu dire qu’à Mayotte il n’y a pas de production locale de viande et que l’on mange essentiellement, à 90%, de la viande congelée ; que ce soit de la volaille ou du bœuf, la viande provient principalement d’Uruguay, d’Argentine, de Nouvelle Zélande en passant par l’Europe.

Autant en termes de commerce qu’en termes de tourisme, Mayotte représente un marché très intéressant pour Madagascar.

Mayotte est certes un petit marché mais avec un pouvoir d’achat relativement élevé. Et si le commerce est un point important, ça n’est pas le seul : le tourisme est aussi un secteur intéressant. Mayotte est une petite île qui accueille un grand nombre de fonctionnaires qui restent entre deux et quatre ans, et qui touchent des primes assez importantes. Cumulées avec leur traitement, ces primes font que ces fonctionnaires touchent entre 6000 et 10000 euros par mois, ce qui leur donne un pouvoir d’achat assez important. Ils ont de plus plusieurs mois de vacances par ans et on peut penser qu’ils vont en profiter pour découvrir la région et les autres îles alentours. Donc autant en termes de commerce qu’en termes de tourisme, Mayotte représente un marché très intéressant pour Madagascar.

Daniel LOZES : Je me suis rendu avec l’Office du Tourisme de Diego Suarez (ORTDS) à Mayotte en septembre 2008, où j’ai visité les principales agences de voyages, qui m’ont dit que c’était la première fois depuis qu’elles existent qu’elles voyaient des représentants de Madagascar : L’Office du Tourisme de Mahajanga en Aout, et celui de Diego Suarez en septembre. Avant ça, elles n’avaient jamais vu quelqu’un de Madagascar venu pour faire la promotion de la destination. Il y a certainement un manque à combler dans ce domaine.

Laurent CAVANATE : Nous avons fait il y a quelques mois un numéro spécial de notre magazine « Horizons » sur Diego Suarez et nous avons eu des réactions très positives. Les gens sont vraiment très demandeurs d’information sur Madagascar et sa Région Nord. Je sais que la Région DIANA a signé un accord de partenariat avec Mayotte qui ne s’est pas encore concrétisé. Peut être que Mr le Ministre ou Mr le DDR ont plus d’informations…

Freddie MAHAZOASY : Tout d’abord je voudrais remercier l’initiative de cette rencontre sur ce sujet qui est tout à fait d’actualité. Il faut savoir qu’il y a une forte présence Malgache à Mayotte, et que d’ailleurs les premiers peuplements de l’île ont été le fait des Malgaches. Le mot mahorais est un mot originaire de la langue malgache ; les mahorais sont appelés ici antimahore.
Il faut savoir également qu’il y a eu déjà, par le passé, des tentatives de rapprocher sur le plan politique le Nord de Madagascar et Mayotte. Notamment en 1993, alors que j’étais ici à Diego Suarez, en poste en tant que directeur à la Commune Urbaine. C’était une initiative de niveau très local qui a rencontré deux barrières. Mayotte est, il ne faut pas l’oublier, très compliquée sur le plan politique, du fait de sont histoire notamment. Si nous sommes proches géographiquement et historiquement, sa qualité de Département d’Outre Mer de la France et membre de l’Union Européenne en fait un interlocuteur très particulier. La première barrière qu’a rencontrée notre initiative a été politique. Elle a probablement souffert d’une absence de coordination avec la politique nationale à l’époque. La seconde s’est située au niveau des normes européennes qui s’imposent au commerce avec Mayotte, et qui du fait des différences de cultures et de niveau de vie entre nos deux pays peuvent être qualifiées de « barrières non-tarifaires ». Les normes sanitaires et phytosanitaires en particuliers. Pour prendre un exemple récent, nous avons été approchés par un opérateur local qui voulait exporter des mangues, il a progressivement renoncé au fur et à mesure qu’est apparue la complexité et le niveau d’exigence de ces normes, même pour des fruits.

Des normes européennes [...] qui du fait des différences de culture et de niveau de vie entre nos deux pays peuvent être qualifiées de barrières non-tarifaires.

Nous souhaitons donc maintenant qu’il y ait une réelle volonté de part et d’autre de s’organiser, tant au niveau du commerce que celui du tourisme, pour que ces barrières soient levées. Mais je crois qu’il faut avant tout laisser agir les opérateurs privés qui sont les premiers concernés par le commerce ; les laisser prendre des initiatives, découvrir et créer les opportunités. Les états, tout en restant en retrait, doivent être à l’écoute de ces opérateurs et des problèmes qu’ils rencontrent dans leurs initiatives pour amorcer un dialogue multilatéral afin de trouver et mettre en place des solutions pour résoudre ces problèmes.
Quant à la question politique, c’est un membre du gouvernement qui vous parle et qui peut vous assurer que la volonté de dialoguer est bien présente et à l’ordre du jour.
Mais il y a des efforts à faire de part et d’autre. Vous avez pu sans doute, à l’occasion de votre séjour ici, gouter et apprécier les productions locales de fruits et légumes, de viande de zébu, et malgré le fait que ces productions ne répondent pas strictement aux normes européennes, vous n’avez pas été malades ni déçus de la qualité de ce que l’on vous a proposé, je me trompe ?

Laurent CAVANATE : Non, bien au contraire ! J’ai mangé ici des fruits et des steaks excellents. Entre autre des prunes dont je n’avais pas mangé depuis des années. Et cette qualité est reconnue et appréciée par les habitants de Mayotte. Cette année c’est par conteneurs entiers qu’ont été importés des litchis de Madagascar, qu’on retrouvait en vente sur les bords des routes, et tellement de gens s’arrêtaient pour en acheter que cela créait des embouteillages ! De même avec les oignons. Il existe déjà un commerce dont les résultats donnent à penser qu’il y aurait tout à gagner à le développer. Et l’attrait des Mahorais pour Madagascar est une évidence. Une grande partie de la population parle le malgache. De nombreuses personnes ont des attaches familiales avec Madagascar, particulièrement avec la Région Nord, et les échanges sont nombreux et réguliers. Le mouvement est déjà là.

Daniel LOZES : C’est vrai que les choses évoluent. Notamment au niveau des avions. Il y a actuellement plus de vols au départ de Diego Suarez vers Mayotte que vers La Réunion. Il reste bien sur la question des tarifs qui sont élevés et freinent sans doute aussi les échanges.

Juslin JAONOSY : Sur le plan local, une convention de coopération entre la Région DIANA et Mayotte a été signée en décembre 2008. Cette convention prévoyait plusieurs axes d’intervention dont l’appui institutionnel, le développement local, les sports, la culture, etc. Malheureusement très peu d’actions concrètes ont suivi, principalement à cause de l’instabilité des différentes équipes en charge de ces dossiers, tant les élus que le personnel exécutif qui ont été renouvelés. Les contraintes budgétaires, les finances publiques bloquées en raison de la reforme de la collectivité à Mayotte, ont amené à revoir le calendrier

Un espoir cependant vient aussi du développement très rapide du marché du Moyen-Orient qui sera plus facile d’accès aux exportateurs malgaches du fait de ses contraintes en termes de normes beaucoup moins restrictives que celles de l’Europe.

d’exécution de cette convention. Une des thématiques prioritaires identifiée par ces accords était l’appui à l’amélioration, l’augmentation et la normalisation des productions agricoles afin de permettre leur exportation. Des contacts entre les Chambres de Commerces et opérateurs économiques ont été établis mais ils ont buté sur l’absence de structuration sur place et les difficultés rencontrées dans le processus d’exportation : normes phytosanitaires, problèmes logistiques, manque de volume en fret disponible vers Mayotte ou à des coûts trop élevés. La Région DIANA est cependant toujours prête pour renouer le dialogue avec les nouvelles institutions de Mayotte devenue département, et d’assurer dès à présent son rôle de médiateur et de facilitateur entre les opérateurs économiques désireux d’exporter et les autorités compétentes. Sur le plan du tourisme, la complémentarité, la proximité et les affinités culturelles de nos deux destinations devraient nous amener à travailler davantage ensemble, sur les plans de la formation professionnelle et de la mise en place de circuits combinés.

Freddie MAHAZOASY : Le principal problème reste ces barrières non-tarifaires. Vous savez, au niveau de l’Europe, il est courant que ces problèmes soient résolus dans le cadre de négociations commerciales entre les états. La qualité des échanges gagnerait à ce que ces négociations soient tenues à un niveau plus local, tel qu’entre Mayotte et la Région Nord. Il y a deux ans, a été entreprise la construction d’un nouvel abattoir industriel moderne sur la route d’Anamakia. Le projet était financé par l’Union Européenne qui à retiré son financement avant l’aboutissement du projet. Ce bâtiment est cependant là et attends d’être équipé, ce qui représente un cout important pour qu’il soit en conformité avec les normes phytosanitaires. Un opérateur privé pourrait peut être reprendre ce projet. Mais je crois qu’avant tout il faut savoir rester pragmatique, et se concentrer sur ce qu’il est possible de faire avec des moyens en investissement limités. C’est par exemple le développement de la filière mangue, qui fait appel à une production artisanale locale déjà existante. Les normes constituent cependant encore une fois des barrières trop fortes qu’il est impératif d’aplanir par un dialogue bilatéral. Ceci vient en contradiction flagrante avec les accords de partenariat qui stipulent que les produits de Madagascar peuvent entrer librement sur tout le territoire Européen, sans aucune taxe. Et la demande de Madagascar de lever ces barrières ne doit pas seulement venir des malgaches, mais elle doit aussi être appuyée par la partie mahoraise pour que les échanges puissent vraiment se faire. La contribution Mahoraise au dialogue peu être l’élément qui fera la différence.
Un espoir cependant vient aussi du développement très rapide du marché du Moyen-Orient qui sera plus facile d’accès aux exportateurs malgaches du fait de ses contraintes en termes de normes beaucoup moins restrictives que celles de l’Europe.